
Source : OL
MasculinsL’OL encore privé de dessert
Le football est une science extraordinairement inexacte. Jusqu’à un certain point. À la peine en championnat et frustrés d’un sprint final qu’on leur sait souvent favorable, les Lyonnais, revanchards, se sont arrachés jusqu’en demie de la plus grande des coupes continentales et nous ont fait rêver. Cela ne suffira pas à la retrouver la saison prochaine, mais on aurait signé des deux mains pour un tel parcours. Il y a pourtant d’autres motifs de regret qu’une saison sans Europe.
L’épopée lyonnaise a eu un immense mérite : celui de souder un groupe – et derrière lui, son public et sa ville, même virtuels, même lointains –, de retrouver des vertus portées disparues depuis plusieurs saisons, une cohésion et un cœur aperçus par intermittence cette année encore, en Ligue 1 plus qu’ailleurs. Mais le cœur ne suffit pas toujours. Leur revanche, les Gones la voulaient plus belle, plus grande, plus haute. Ils la voulaient ultime, sublime, historique. Bafoués sur la scène nationale, ils n’aspiraient qu’à l’apothéose continentale, qu’à ce Graal nanti de grandes oreilles. Pour y parvenir, d’autres atouts qu’un format raccourci, un collectif retrouvé et une volonté de fer se sont malheureusement avérés nécessaires. Comme souvent quand on se frotte à ce qui se fait de mieux dans le football actuel.
Un OVNI en Europe
Car force est de constater que, dans le sillage des Real, Barça, Liverpool, Tottenham, Juventus, Atlético ou Bayern (déjà !) des éditions précédentes, la finale de dimanche va opposer deux mastodontes financiers de la planète foot. Des mastodontes qui, en dépit de leur différence de pedigree, n’auront pas réellement tremblé face à Leipzig et Lyon, donc. En tout cas, pas suffisamment pour que leur marche en avant, impulsée par les deux indissociables moteurs du sport le plus populaire au monde que sont le talent et l’argent (faut-il toujours y voir un paradoxe ?), s’en trouve contrariée.
Mais alors, dans quelle catégorie ranger cet OL si renaissant et si réjouissant ? Parmi les clubs du Top 20 de l’UEFA, l’Olympique Lyonnais (15e dans ce classement) est le seul à n’avoir jamais disputé de finale européenne. Pas la moindre (voir tableau plus bas). Un vide en même temps qu’un caillou dans la chaussure de l’histoire, pourtant écrite en lettres d’or, de l’ère Aulas. Et une singularité difficilement explicable pour le club français le plus cappé sur le Vieux Continent. Au plan domestique, le Paris SG jouera, par exemple, sa troisième finale, la première seulement sous le pavillon qatari. L’OL reste donc un club en devenir, une institution en travaux, un jeune qui a grandi mais ne soutient pas encore le regard des anciens au palmarès luisant de la patine du temps. Depuis cette demie de Coupe des coupes des vainqueurs de coupe (C2) perdue en 1964 face au Sporting (qui ne jouait pas encore à José-Alvalade et qui remportera la compétition), les Lyonnais ont fait de l’Europe un terrain de jeu privilégié, c’est vrai, mais dix ans après leur dernier tour d’honneur dans le carré d’as de la C1, la dernière marche est demeurée trop haute. Pourquoi cette année encore ?
Un effectif inégal à la qualité insuffisante
Dans cette saison sans queue ni tête, rien ne laissait présager un tel parcours, et sûrement pas le tirage post-confinement qui réservait à des Lyonnais pas encore qualifiés contre la Juve, le vainqueur de l’opposition Real Madrid-Manchester City d’abord, celui du choc Bayern Munich-FC Barcelone ensuite. Premier supporter de son club, « JMA » lui-même ne devait guère se faire d’illusions. Comme l’ont rappelé de concert Juninho et Rudi Garcia mercredi soir, ces exploits ont été un rayon de soleil et la manifestation d’un collectif transcendé, mais le pain quotidien du club est et restera la Ligue 1 ; elle est essentielle, et à travers elle passe le destin européen de l’OL. Or la L1, a fortiori celle des petites compromissions et des arrangements mesquins, celle des coachs frileux et des « bus » garés devant les cages, celle aussi des insuffisances de joueurs « moyens-plus » surtout bons pour choisir leurs matchs, fait mauvais ménage avec les exigences européennes. Les Parisiens ne le savent que trop bien : la vitrine de la LFP ne prépare en rien à un sacre estampillé UEFA. Dimanche, le navire-amiral du Qatar sur la scène sportive peut contredire cette évidence, et cette formation hors-sol de servir d’alibi aux Le Graët, Quillot et consorts.
Les ratés du nouveau staff en début de saison ont également contribué à faire de cet exercice 2019/2020 une montagne russe. Le dénouement dans la lumière de Lisbonne ne doit pas faire oublier les ombres d’un mercato et d’une gestion d’effectif qui s’inscrivent dans une stratégie au long cours et interrogent néanmoins. Barré sur le flanc droit de la défense (trois recrues pour un poste, une anomalie), Pierre Kalulu a préféré tenter le pari milanais. Inutilisé et pas loin d’aller voir ailleurs il y a un an, Maxence Caqueret a brillé devant Guardiola et Flick après avoir relégué sur le banc Thiago Mendes, acheté 22 millions d’euros. Youssouf Koné (9 millions) est quasiment devenu persona non grata et Joachim Andersen (26 millions), le remplaçant le plus cher de l’histoire du club, à l’heure où Melvin Bard et Sinaly Diomandé frappent à la porte de l’équipe première. Quant à Rayan Cherki, il a profité du départ de Martin Terrier et des limites de Bertrand Traoré pour grappiller quelques minutes de jeu au Portugal. Faut-il rappeler la phrase du Cid aux décideurs lyonnais ?
L’OL a en son sein des ressources prodigieuses qui n’apparaissent pas sur le bilan comptable. Ou pas encore. Car le problème est là, on le sait : ces ressources restent avant tout une monnaie d’échange. Anthony Martial est parti de l’OL à 17 ans, Karim Benzema à 21, Ludovic Giuly et Samuel Umtiti à 22, Corentin Tolisso à 23... Récemment, Ferland Mendy et Tanguy Ndombélé ont filé à peine arrivés. Et à tout juste 22 ans, Houssem Aouar risque de les suivre. Seuls Alexandre Lacazette, Nabil Fekir et Maxime Gonalons ont attendu d’approcher de la « fleur de l’âge » pour quitter le bercail. Là résident pourtant les chances futures du club.
Aujourd’hui, ce groupe mal construit souffre de carences évidentes et la confrontation de mercredi nous a rappelé qu’on ne gagne pas une C1 avec des joueurs « moyens-plus ». Une vérité que, pris de passion, nous avions peut-être oubliée. Cela s’est joué à rien, soulignait Rudi Garcia, évoquant les occasions du début de match. Ce « rien » fait toute la différence et l’histoire du football en serait changée si le delta n’existait pas. Marçal, Marcelo et Maxwel Cornet n’ont pas démérité, mais pas non plus permis d’emporter la décision en cédant sous les coups de boutoir de Gnabry. Les limites de Léo Dubois ont pesé au point que Kenny Tete l’a remplacé à l’heure de jeu, et le manque de réalisme de Karl Toko-Ekambi a rappelé celui vu contre l’Ajax il y a trois ans. Remplaçons « Toko » par Benzema, Lacazette ou Fekir et l’OL serait peut-être en finale. Oui, avec des si…
Performance à court terme vs. stratégie à moyen et long terme
De fait, beaucoup de ces joueurs sont taillés pour la L1, cette L1 que, ignorants de leurs propres lacunes, ils négligent. « JMA » a défini une ligne directrice claire, à moyen et long terme, et quoique le foot soit si souvent imprévisible, une victoire dans cette LDC 2020 n’en faisait pas partie avant que le COVID et l’arrêt du championnat ne passent par là. Gageons en revanche que les performances de haut vol des joueurs du centre de formation, qui valident à 100 % la stratégie de l’OL en la matière, amène le staff à reconsidérer les mercatos à venir. Et à ne pas vendre les meilleurs « fruits » de son académie avant qu’ils aient mûri assez. Car le trading des « actifs joueurs » et les investissement consentis – à commencer par le stade de Décines dont le remboursement ne doit s’achever qu’en 2024 – placent le club entre le marteau du sport-spectacle et l’enclume du sport-business. En filant au Bayern, Corentin Tolisso a fait le choix d’un palmarès, d’un prestige et d’une histoire. D’un salaire, aussi : plus de 10 M€ bruts par an, quand il en touchait 2,5 dans le Rhône. L’OL de demain peut réduire cet écart et ses jeunes l’y aider.
Bref, la France en voulait plus, et nous aussi, mais l’OL est à sa place. Sans doute est-ce encore trop tôt pour aller le chercher, ce Graal. Entre formation, trading joueurs et projets immobiliers, le club continue de se contruire et se de chercher un chemin idéal. Les sirènes du « tout-fric » et les courtisanes de l’EBITDA seront nombreuses, il ne faudra pas se perdre en route. Tony Parker, s’il prend la relève, sera jugé là-dessus aussi. Donner la priorité au sportif, et faire que tout le reste en découle, plutôt que l’inverse. Un guide devra montrer la voie et Juninho, fort de ses erreurs passées et des espoirs entrevus, peut être celui-là. Alors seulement, riche de son travail et de la réussite qui accompagne les plus grands, l’OL ne quittera plus la table avant le dessert.

Source : Social Gones
Par Olivier CADOLE
Publié le